Les réécritures, le mythe de l'Enfer
cours d'introduction sur les réécritures
La
littérature palimpseste
Les Réécritures, ce qu’il faut savoir, ce qu’il faut en penser …
Aux origines de la littérature :
La critique de la deuxième moitié du XXe siècle s’est interrogée sur le rôle que prend le lecteur dans l’œuvre. Le texte laisserait des blancs, des interstices comblées par le lecture sans lequel le texte ne peut fonctionner.
Ainsi au texte lui-même se superpose d’autres sens, ceux de son histoire propre, de ses variantes, ceux de l’histoire littéraires, de ses sources, de ses origines, de ses filiations, de ses adaptations, en fait de son passé et de son futur, mais aussi ceux de l’histoire du lecteur et surtout de sa culture.
Les textes se répondent et dialoguent donc d’une époque à l’autre.
La littérature, d'après G. Genette dans l'oeuvre du même nom, est un
palimpseste : littéralement
un parchemin dont on a gratté la première couche d'écriture pour la remplacer
par une autre, sachant que le texte premier n'est jamais totalement effacé. Un
texte peut toujours en cacher un autre plus ou moins volontairement. C’est là
qu’interviennent les réécritures.
Histoires des réécritures : de l’ imitatio
au plagiat.
« Au commencement fut Homère, et Homère était dans la littérature, et Homère était la littérature. »
Homère, le premier auteur de la littérature occidentale sert de maître à penser, de référence à toute la littérature antique. On imite Homère, on lui est fidèle ou on le détourne. La fidélité produit l’épopée, la tragédie toujours autour des mêmes thèmes : la Guerre de Troie, les Labdacides, les Atrides …, le détournement donne le mot parodia, contre chant où on détourne l’épopée de façon à faire rire. La comédie se définit par opposition à la tragédie et donc à l’épopée.
De cette origine naît une conception de la littérature qui nous est étrangère à Rome. En effet Homère est le maître, et la littérature grecque a suivi le maître. La littérature latine doit donc suivre la littérature grecque. La qualité de la littérature latine vient donc de sa fidélité au modèle grec. Et c’est ainsi que Virgile ne fait qu’imiter Homère.
Cette fidélité se retrouve
dans les époques où l’on cherche à retrouver la pureté des modèles
antiques, en particulier dans le classicisme français, mais déjà dans la Pléïade,
dont les poètes ont défini un nouveau rapport aux Anciens, celui de
l’innutrition. S’il s’agit de donner à la France une littérature propre
il faut d’abord faire ses gammes, en lisant les anciens pour s’en imprégner
et commencer par les imiter.
Les classiques reprennent cette tradition :
Molière réécrit Plaute, Racine les Tragiques grecs, La Fontaine Esope, et La Bruyère Théophraste.
Bien sûr il ne s’agit pas de réécrire fidèlement, il y a pour cela les traductions. Il s’agit de s’inspirer. Et souvent les élèves dépassent les maîtres n’en déplaisent aux Modernes qui renient l’héritage en s’en prenant à Homère justement : comme Fénelon dans son Télémaque. Déjà un siècle avant Scarron avait écrit un Virgile travesti … C’est que la littérature est aussi affaire d’hommage, et d’émulation. On apprend en imitant, on dépasse en s’inspirant. Mais surtout qu’on soit de toutes les époques, Ancien ou Moderne, on se compare toujours à l’Antiquité pour l’imiter ou au contraire pour s’en écarter.
L’histoire littéraire apprend donc qu’aucun auteur n’écrit en dehors de son époque, et qu’il s’inscrit toujours dans la fidélité ou l’opposition par rapport aux générations qui l’ont précédé. Mais surtout dans la mémoire du lecteur, quelle que soit sa culture les textes se répondent, et le dialogue naît avec d’autres textes, avec l’auteur … C’est ce qu’on appelle l’intertextualité « tout ce qui met un texte en relation, manifeste ou secrète, avec un autre texte ».
Les réécritures sont les expressions conscientes de cette
intertextualité.
L’enjeu est donc de découvrir
- comment un texte s’inscrit dans son histoire, en réflechissant sur sa genèse, sur les variantes
- dans l’histoire littéraire, en apprenant à tenir compte des filiations qui existent avec d’autres textes, à évaluer la part de l’héritage culturel et à prendre conscience de son poids
- dans notre histoire, en découvrant ainsi, paradoxalement ce qui fait qu’un texte est unique, qu’il est l’expression originale d’un choix artistique au travers même de ses adaptions, transpositions, insertions d’autres textes.
Les formes de l’intertextualité fidèle : l’œuvre continue à vivre dans une autre œuvre sans modification.
Citation : c’est la forme la plus évidente d’intertextualité. Elle est marquée par une ponctuation particulière. Elle est un ornement du discours, un clin d’œil qui crée une complicité avec le lecteur, ou un argument d’autorité. La façon dont le texte est coupé, ou inséré, la mise en page, peut avoir une valeur particulière.
Allusion : là encore il s’agit d’introduire une complicité avec le lecteur.
Plagiat : il s’agit d’une citation volontairement
dissimulée. C’est une pratique juridiquement condamnée, mais elle peut aussi
constituer un jeu, par exemple pour Lautrémont dans Les chants de Maldoror.
La nouvelle vie de l’œuvre : là encore l’œuvre va continuer à vivre ouvertement mais sous une forme différente qui la respecte. Ces formes varient énormément. On parle de transposition du texte.
Cette transposition peut s’opérer par un changement :
- de langue, mais ne pas oublier que traduire c’est trahir. Une traduction est donc toujours un choix, et peut varier de la plus grande fidélité à une fidélité uniquement sur le fond. C’est le destin des œuvre antiques dans les traductions du XIXe qu’on appelle « les belles infidèles », l’optique choisie étant non la plus grande fidélité l au texte (contrairement aux traductions modernes) mais la beauté du texte.
- de style : passer de la prose au vers, par ex : La Fontaine
- de genre : les possibilités sont variées
o littérature en peinture, en œuvre cinématographique, en photo … Ce mode particulier de transposition pose la question du changement de codes d’expression. Il suppose une attention particulière.
o roman en théâtre
o théâtre en roman
o théatre en roman policier
o épopée en roman
etc …
- de registre tragique en comique (certains passages de Gireaudoux), épique en fantastique (Dante, Céline), épique en didactique (Télémaque) …
- de mouvement artistique ou de contexte historique : Antigone d’Anouilh. C’est particulièrement sensible en peinture.
Il faut bien sûr s’interroger sur ces choix. Il s’agit souvent de s’adapter à un nouveau public, soit qu’il parle une langue différente, soit qu’il ne supporte pas les anciens codes (qui lit l’Odyssée aujourd’hui ?), soit pour rapprocher l’œuvre de lui, lui faire découvrir un nouveau sens, l’enrichir de nouvelles significations qui se superposent aux anciennes sans les invalider (Anouilh), soit en hommage à l’œuvre d’origine, soit tout simplement par jeu, soit encore par manque d’imagination (Hollywood ?) mais on voit que cette hypothèse est de loin la dernière et la plus rare, et n’est pas le fait des grands auteurs qui ont souvent de bien meilleures raisons de s’inspirer de quelqu’un d’autre.
Réécrire c’est le plus souvent connaître et
reconnaître l’existence et la valeur des modèles.
Le détournement du texte : il s’agit là d’une transposition ouvertement détournée.
Le but est souvnet de faire rire ou de critiquer, mais pas nécessairement.
Pastiche : c’est une forme d’imitation qui consiste à écrire en utilisant les mêmes procédés que l’auteur que l’on imite, au point de provoquer des questions sur l’identité de celui qui écrit. On parle d’un écrit « à la manière de ». Il exige une excellente connaissance de l’œuvre à imiter, de la part de l’auteur mais aussi du lecteur. C’est un exercice de haut niveau qui a souvent une valeur d’hommage. On peut pasticher un genre, une époque, un mouvement littéraire, un registre ou un auteur.
Parodie : il s’agit de créer des effets comiques proches de ceux de la caricature. Elle opère souvent par grossissement, détournement de certains aspects. Elle déforme l’œuvre. C’est le cas en particulier dans le registre burlesque. Il s’agit dans ce cas précis d’inverser le registre, l’épique devient prosaïque voire vulgaire, ou au contraire des situations quotidiennes sont transposées dans un registre épique.
La parodie, comme le pastiche, exige une excellente connaissance de l’œuvre imitée par l’auteur mais aussi par le lecteur sinon le jeu est vain. Mais elle a souvent une volonté critique.
Attention à ne pas confondra pas avec la satire : la parodie a un but ludique ou esthéthique et vise une œuvre artistique, la satire prend pour cible les idées et les comportements dans un but moral ou réformateur.
Deux cas
particuliers
L’Oulipo : un jeu d’écriture du XXe siècle.
Fondé en 1960 par François le Lionnais et Raymond Queneau, il s’agit d’un atelier d’expérimentation littéraire. Son nom signifie : OUvroir de LIttérature POtentielle.
Il explore les ressources du langage en répertoriant et invantant des procédés permettant d’écrire de nouveaux textes. Il réintroduit l’idée de contrainte littéraire dans la création littéraire.
Leur travail repose sur des opérations de réécritures qu’on retrouve dans toutes les autres :
- suppression : par exemple le lipogramme, texte dans lequel une lettre ne figure pas, comme La disparition. Mais aussi on peut supprimer des phrases, des idées, réduire le texte à l’essentiel, ou procède à des regroupements ou des condensations.
- Substitution : lexicales, méthode S + 7, ou par des termes d’un champ lexical précis. Il peut aussi s’agir de changer la narrateur. Il y a souvent des conséquences sur la syntaxe
- L’expansion : elle peut toucher une phrase, un texte entier. On ajoute des explications, des épisodes supplémentaires, des commentaires. Le développement permet de rendre explicite ou d’interpréter un passage original, l’amplification d’augmenter les phrases.
-
Le déplacement : ils ne peuvent toucher
qu’un mot, ou des phrases, des passages entiers. Il peut s’agir ou non de
permutations, qui peuvent obéir à des changements rythmiques. On peut aussi
ajouter et coller des passages d’un autre texte, détournés de leur contexte
habituel.
Le mythe :
Il est la plus grande source de réécritures et d’intertextualité.
Etymologiquement c’est un récit fabuleux. Il apparaît d’abord dans les textes religieux. Il s’agit en effet d’abord d’un récit sacré qui mettent en scène des êtres divins ou surnaturels qui ont pour fonction d’expliquer des réalités mystérieuses : création du monde, condition mortelle, phénomènes cosmiques.
Ce sont des récits collectifs, qui n’ont pas toujours été fixés d’abord par une tradition écrite et qui voyagent dans la culture et l’inconscient collectif d’une civilisation.
Ils sont souvent ensuite fixés par une tradition écrite, dans les grands textes fondateurs de la littérature et de la culture européenne : Bible, Tragiques Grecs, Iliade et Odyssée.
Il fascine encore et toujours car il est l’expression d’une pensée collective et qu’il a une valeur symbolique. Ses significations peuvent donc se réactualiser d’âge en âge.
En littérature il prend un sens particulier : il s’agit pour un auteur de faire une utilisation nouvelle d’un personnage, d’un récit, d’une figure symbolique donnés par la tradition.
Don Juam (dont on a oublié le père … et non Rastignac justement qui restera Balzacien).
Etudier un mythe c’est repérer les éléments du récits à valeur symbolique, et les interpréter. Ces symboles peuvent être d’ordre :
- métaphysique : origine de l’humanité, mortalité
- psychologique : Narcisse, dangers de l’amour de soir
- moral : combat entre le Bien et le Mal à travers Faust
- esthétique : mystère de la création artistique à travers Orphée
Du fait de sa richesse, et de sa fascination, les mythes sont sujets à de multiples réécritures qui cherchent, désespérement à en épuiser les sens et les implications. On modifie alors le temps, le lieu, le style, le registre, le genre … Or la fascination du mythe vient justement du fait qu’on ne peut pas épuiser ses significations car il est sans cesse l’objet de réinterprétations en fonction des époques et des contextes et de ses réécritures justement qui loin de le déchiffrer ne cessent de l’enrichir et de le rendre plus fascinant encore.
Plaute et Molière, de l'Aulularia à L'Avare
Autour du chêne et du roseau : Esope, La Fontaine, Pascal, Lautréamont, Anouilh (voir aussi les images)
"La chevelure" de Baudelaire : des vers à la prose
"Les voyelles" de Rimbaud et leur lipogramme.
(d'autres expériences de l'OuLiPo sur El Desdichado de Nerval : http://graner.net/nicolas/desdi/index.html
scène IX. EUCLION, seul.
Je suis mort ! je suis égorgé ! je suis assassiné ! Où courir ? où ne pas
courir ? Arrêtez ! arrêtez ! Qui ? lequel ? je ne sais ; je ne vois plus, je
marche dans les ténèbres. Où vais-je ? où suis-je ? Qui suis-je ? je ne
sais ; je n'ai plus ma tête. Ah ! je vous prie, je vous conjure,
secourez-moi. Montrez-moi celui qui me l'a ravie... vous autres cachés sous
vos robes blanchies, et assis comme des honnêtes gens... Parle, toi, je veux
t'en croire ; ta figure annonce un homme de bien... Qu'est-ce ? pourquoi
riez-vous ? On vous connaît tous. Certainement, il y a ici plus d'un
voleur... Eh bien ! dis ; aucun d'eux ne l’a prise ? .... Tu me donnes le
coup de la mort. Dis-moi donc, qui est-ce qui l'a ? Tu l'ignores ! Ah !
malheureux, malheureux ! C'est fait de moi ; plus de ressource, je suis dépouillé
de tout ! Jour déplorable, jour funeste, qui m'apporte la misère et la faim
! Il n'y a pas de mortel sur la terre qui ait éprouvé un pareil désastre.
Et qu'ai-je à faire de la vie, à présent que j'ai perdu un si beau trésor,
que je gardais avec tant de soin ? Pour lui je me dérobais le nécessaire, je
me refusais toute satisfaction, tout plaisir. Et il fait la joie d'un autre
qui me ruine et qui me tue ! Non, je n'y survivrai pas.
Molière, Avare
Scène VII
HARPAGON. Il crie au voleur dès le jardin, et vient sans chapeau: Au voleur!
au voleur! à l'assassin! au meurtrier! Justice, juste Ciel! je suis perdu, je
suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon argent. Qui
peut-ce être? Qu'est-il devenu? Où est-il? Où se cache-t-il? Que ferai-je
pour le trouver? Où courir? Où ne pas courir? N'est-il point là? N'est-il
point ici? Qui est-ce? Arrête. Rends-moi mon argent, coquin. (Il se prend
lui-même le bras.) Ah! c'est moi. Mon esprit est troublé, et j'ignore où je
suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas! mon pauvre argent, mon pauvre
argent, mon cher ami! on m'a privé de toi; et puisque tu m'es enlevé, j'ai
perdu mon support, ma consolation, ma joie; tout est Fini pour moi, et je n'ai
plus que faire au monde: sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est
fait, je n'en puis plus; je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N'y
a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou
en m'apprenant qui l'a pris? Euh? que dites-vous? Ce n'est personne. Il faut,
qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait épié
l'heure; et l'on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de
fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire donner la question
à toute la maison: à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi
aussi. Que de gens assemblés! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me
donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh! de quoi est-ce qu'on
parle là? De celui qui m'a dérobé? Quel bruit fait-on là-haut? Est-ce mon
voleur qui y est? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je
supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là parmi vous? Ils me
regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu'ils ont part sans doute
au vol que l'on m'a fait. Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts,
des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. Je veux faire pendre
tout le monde; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.
[143] LE ROSEAU ET L'OLIVIER Le
roseau et l'olivier disputaient de leur endurance, de leur force, de leur
fermeté. L'olivier reprochait au roseau son impuissance et sa facilité à céder
à tous les vents. Le roseau garda le silence et ne répondit mot. Or le vent
ne tarda pas à souffler avec violence. Le roseau, secoué et courbé par les
vents, s'en tira facilement ; mais I'olivier, résistant aux vents, fut cassé
par leur violence. Cette fable montre que ceux qui cèdent aux circonstances
et à la force ont l'avantage sur ceux qui rivalisent avec de plus puissants.
Traduction itinera electronica
La Fontaine,
« Le chêne et le roseau »
Le chêne un
jour dit au roseau :
"Vous avez bien sujet d'accuser la nature ;
Un roitelet
pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre
vent qui d'aventure
Fait rider
la face de l'eau,
Vous oblige
à baisser la tête.
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave
l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon
; tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je
couvre le voisinage,
Vous
n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrai
de l'orage ;
Mais vous
naissez le plus souvent
Sur les humides bords des
royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
- Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci :
Les vents me sont moins qu'à vous
redoutables ;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre
leurs coups épouvantables
Résisté
sans courber le dos ;
Mais attendons la fin." Comme
il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus
terrible des enfants
Que le nord eût porté jusque là dans ses flancs.
L'arbre
tient bon ; le roseau plie.
Le vent
redouble ses efforts,
Et fait si
bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et
dont les pieds touchaient à l'empire des morts.
L'homme n'est qu'un roseau, le plus
faible de la nature; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que
l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau,
suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait
encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu'il meurt, et l'avantage
que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.
Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là
qu'il faut nous relever et non de l'espace et de la durée, que nous ne
saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de
la morale.
Pascal, pensée 347
POÉSIES [ II ]
L'homme est un chêne. La nature n'en compte
pas de plus robuste. Il ne faut pas que l'univers s'arme pour le défendre.
Une goutte d'eau ne suffit pas à sa préservation. Même quand l'univers le défendrait,
il ne serait pas plus déshonoré que ce qui ne le préserve pas. L'homme sait
que son règne n'a pas de mort, que l'univers possède un commencement.
L'univers ne sait rien: c'est, tout au plus, un roseau pensant.
Lautréamont, Poésies II
Le chêne et le
roseau, 1973, Fable de Jean de la Fontaine réécrite par
Jean Anouilh
Le chêne un jour dit au roseau :
« N'êtes-vous pas lassé d'écouter cette fable ?
La morale en est détestable ;
Les hommes bien légers de l'apprendre aux marmots.
Plier, plier toujours, n'est-ce pas déjà trop,
Le pli de l'humaine nature ? »
« Voire, dit le roseau, il ne fait pas trop beau ;
Le vent qui secoue vos ramures
(Si je puis en juger à niveau de roseau)
Pourrait vous prouver, d'aventure,
Que nous autres, petites gens,
Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents,
Dont la petite vie est le souci constant,
Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde
Que certains orgueilleux qui s'imaginent grands. »
Le vent se lève sur ses mots, l'orage gronde.
Et le souffle profond qui dévaste les bois,
Tout comme la première fois,
Jette le chêne fier qui le narguait par terre.
« Hé bien, dit le roseau, le cyclone passé -
Il se tenait courbé par un reste de vent -
Qu'en dites-vous donc mon compère ?
(Il ne se fût jamais permis ce mot avant)
Ce que j'avais prédit n'est-il pas arrivé ?"
On sentait dans sa voix sa haine
Satisfaite. Son morne regard allumé.
Le géant, qui souffrait, blessé,
De mille morts, de mille peines,
Eut un sourire triste et beau ;
Et, avant de mourir, regardant le roseau,
Lui dit : "Je suis encore un chêne."
Voyelles
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclantantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrement divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Arthur Rimbaud (Poésies) (septembre 1871)
VOCALISATIONS
A noir (Un blanc), I roux, U safran, O azur :
Nous saurons au jour dit ta vocalisation :
A, noir poilu d'un scintillant morpion
Qui bombinait autour d'un nidoral impur,
Caps obscurs ; qui, cristal du brouillard ou du Khan,
Harpons du fjord hautain, Rois Blancs, frissons d'anis ?
I, carmins, sang vomi, riant ainsi qu'un lis
Dans un courroux ou dans un alcool mortifiant ;
U, scintillations, ronds divins du flot marin,
Paix du pâtis tissu d'animaux, paix du fin
Sillon qu'un fol savoir aux grand fronts imprima ;
O, finitif clairon aux accords d'aiguisoir,
Soupirs ahurissant Nadir ou Nirvâna :
O l'omicron, rayon violin dans son Voir !
Arthur Rimbaud /Georges Perec (La disparition)
Cliquez sur l'image pour agrandir.
La postérité d'Homère : voir Grec, Guerre de Troie
Réécritures picturales de la fable : "Le chêne et le roseau"
Réécritures du "Penseur
Réécritures en peinture :
Vélasquez
et Bacon, Innocent X
Picasso et Courbet, Picasso et Ingres, Picasso et Matisse ...