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Les réécritures, le mythe de l'Enfer

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    COURS D'INTRODUCTION

La littérature palimpseste

 

Les Réécritures, ce qu’il faut savoir, ce qu’il faut en penser …

Aux origines de la littérature :

            La critique de la deuxième moitié du XXe siècle s’est interrogée sur le rôle que prend le lecteur dans l’œuvre. Le texte laisserait des blancs, des interstices comblées par le lecture sans lequel le texte ne peut fonctionner.

            Ainsi au texte lui-même se superpose d’autres sens, ceux de son histoire propre, de ses variantes, ceux de l’histoire littéraires, de ses sources, de ses origines, de ses filiations, de ses adaptations, en fait de son passé et de son futur, mais aussi ceux de l’histoire du lecteur et surtout de sa culture.

            Les textes se répondent et dialoguent donc d’une époque à l’autre. La littérature, d'après G. Genette dans l'oeuvre du même nom,  est un palimpseste : littéralement un parchemin dont on a gratté la première couche d'écriture pour la remplacer par une autre, sachant que le texte premier n'est jamais totalement effacé. Un texte peut toujours en cacher un autre plus ou moins volontairement. C’est là qu’interviennent les réécritures.                         

Histoires des réécritures : de l’ imitatio au plagiat.

« Au commencement fut Homère, et Homère était dans la littérature, et Homère était la littérature. »

Homère, le premier auteur de la littérature occidentale sert de maître à penser, de référence à toute la littérature antique. On imite Homère, on lui est fidèle ou on le détourne. La fidélité produit l’épopée, la tragédie toujours autour des mêmes thèmes : la Guerre de Troie, les Labdacides, les Atrides …, le détournement donne le mot parodia, contre chant où on détourne l’épopée de façon à faire rire. La comédie se définit par opposition à la tragédie et donc à l’épopée.

De cette origine naît une conception de la littérature qui nous est étrangère à Rome. En effet Homère est le maître, et la littérature grecque a suivi le maître. La littérature latine doit donc suivre la littérature grecque. La qualité de la littérature latine vient donc de sa fidélité au modèle grec. Et c’est ainsi que Virgile ne fait qu’imiter Homère.

Cette fidélité se retrouve dans les époques où l’on cherche à retrouver la pureté des modèles antiques, en particulier dans le classicisme français, mais déjà dans la Pléïade, dont les poètes ont défini un nouveau rapport aux Anciens, celui de l’innutrition. S’il s’agit de donner à la France une littérature propre il faut d’abord faire ses gammes, en lisant les anciens pour s’en imprégner et commencer par les imiter.
Les classiques reprennent cette tradition :

            Molière réécrit Plaute, Racine les Tragiques grecs, La Fontaine Esope, et La Bruyère Théophraste.

            Bien sûr il ne s’agit pas de réécrire fidèlement, il y a pour cela les traductions. Il s’agit de s’inspirer. Et souvent les élèves dépassent les maîtres n’en déplaisent aux Modernes qui renient l’héritage en s’en prenant à Homère justement : comme Fénelon dans son Télémaque. Déjà un siècle avant Scarron avait écrit un Virgile travesti … C’est que la littérature est aussi affaire d’hommage, et d’émulation. On apprend en imitant, on dépasse en s’inspirant. Mais surtout qu’on soit de toutes les époques, Ancien ou Moderne, on se compare toujours à l’Antiquité pour l’imiter ou au contraire pour s’en écarter.

            L’histoire littéraire apprend donc qu’aucun auteur n’écrit en dehors de son époque, et qu’il s’inscrit toujours dans la fidélité ou l’opposition par rapport aux générations qui l’ont précédé. Mais surtout dans la mémoire du lecteur, quelle que soit sa culture les textes se répondent, et le dialogue naît avec d’autres textes, avec l’auteur … C’est ce qu’on appelle l’intertextualité « tout ce qui met un texte en relation, manifeste ou secrète, avec un autre texte ».

Les réécritures sont les expressions conscientes de cette intertextualité.
L’enjeu est donc de découvrir

-          comment un texte s’inscrit dans son histoire, en réflechissant sur sa genèse, sur les variantes

-          dans l’histoire littéraire, en apprenant à tenir compte des filiations qui existent avec d’autres textes, à évaluer la part de l’héritage culturel et à prendre conscience de son poids

-          dans notre histoire, en  découvrant ainsi, paradoxalement ce qui fait qu’un texte est unique, qu’il est l’expression originale d’un choix artistique au travers même de ses adaptions, transpositions, insertions d’autres textes.

Les formes de l’intertextualité fidèle : l’œuvre continue à vivre dans une autre œuvre sans modification.

Citation : c’est la forme la plus évidente d’intertextualité. Elle est marquée par une ponctuation particulière. Elle est un ornement du discours, un clin d’œil qui crée une complicité avec le lecteur, ou un argument d’autorité. La façon dont le texte est coupé, ou inséré, la mise en page, peut avoir une valeur particulière.

 

Allusion : là encore il s’agit d’introduire une complicité avec le lecteur. 

 

Plagiat : il s’agit d’une citation volontairement dissimulée. C’est une pratique juridiquement condamnée, mais elle peut aussi constituer un jeu, par exemple pour Lautrémont dans Les chants de Maldoror.

 

La nouvelle vie de l’œuvre : là encore l’œuvre va continuer à vivre ouvertement mais sous une forme différente qui la respecte. Ces formes varient énormément. On parle de transposition du texte.

Cette transposition peut s’opérer par un changement :

-          de langue, mais ne pas oublier que traduire c’est trahir. Une traduction est donc toujours un choix, et peut varier de la plus grande fidélité à une fidélité uniquement sur le fond. C’est le destin des œuvre antiques dans les traductions du XIXe qu’on appelle « les belles infidèles », l’optique choisie étant non la plus grande fidélité l au texte (contrairement aux traductions modernes) mais la beauté du texte.

-          de style : passer de la prose au vers, par ex : La Fontaine

-          de genre : les possibilités sont variées

o       littérature en peinture, en œuvre cinématographique, en photo … Ce mode particulier de transposition pose la question du changement de codes d’expression. Il suppose une attention particulière.

o       roman en théâtre

o       théâtre en roman

o       théatre en roman policier

o       épopée en roman

etc …

-          de registre tragique en comique (certains passages de Gireaudoux), épique en fantastique (Dante, Céline), épique en didactique (Télémaque) 

-          de mouvement artistique ou de contexte historique : Antigone d’Anouilh. C’est particulièrement sensible en peinture.

Il faut bien sûr s’interroger sur ces choix. Il s’agit souvent de s’adapter à un nouveau public, soit qu’il parle une langue différente, soit qu’il ne supporte pas les anciens codes (qui lit l’Odyssée aujourd’hui ?), soit pour rapprocher l’œuvre de lui, lui faire découvrir un nouveau sens, l’enrichir de nouvelles significations qui se superposent aux anciennes sans les invalider (Anouilh), soit en hommage à l’œuvre d’origine, soit tout simplement par jeu, soit encore par manque d’imagination (Hollywood ?) mais on voit que cette hypothèse est de loin la dernière et la plus rare, et n’est pas le fait des grands auteurs qui ont souvent de bien meilleures raisons de s’inspirer de quelqu’un d’autre.

Réécrire c’est le plus souvent connaître et reconnaître l’existence et la valeur des modèles.

Le détournement du texte :  il s’agit là d’une transposition ouvertement détournée.

Le but est souvnet de faire rire ou de critiquer, mais pas nécessairement.

Pastiche : c’est une forme d’imitation qui consiste à écrire en utilisant les mêmes procédés que l’auteur que l’on imite, au point de provoquer des questions sur l’identité de celui qui écrit. On parle d’un écrit « à la manière de ». Il exige une excellente connaissance de l’œuvre à imiter, de la part de l’auteur mais aussi du lecteur. C’est un exercice de haut niveau qui a souvent une valeur d’hommage. On peut pasticher un genre, une époque, un mouvement littéraire, un registre ou un auteur.

 

Parodie : il s’agit de créer des effets comiques proches de ceux de la caricature. Elle opère souvent par grossissement, détournement de certains aspects. Elle déforme l’œuvre. C’est le cas en particulier dans le registre  burlesque. Il s’agit dans ce cas précis d’inverser le registre, l’épique devient prosaïque voire vulgaire, ou au contraire des situations quotidiennes sont transposées dans un registre épique.

La parodie, comme le pastiche, exige une excellente connaissance de l’œuvre imitée par l’auteur mais aussi par le lecteur sinon le jeu est vain. Mais elle a souvent une volonté critique.

Attention à ne pas confondra pas avec la satire : la parodie a un but ludique ou esthéthique et vise une œuvre artistique, la satire prend pour cible les idées et les comportements dans un but moral ou réformateur.

 

Deux  cas particuliers

L’Oulipo : un jeu d’écriture du XXe siècle.

Fondé en 1960 par François le Lionnais et Raymond Queneau, il s’agit d’un atelier d’expérimentation littéraire. Son nom signifie : OUvroir de LIttérature POtentielle.

Il explore les ressources du langage en répertoriant et invantant des procédés permettant d’écrire de nouveaux textes. Il réintroduit l’idée de contrainte littéraire dans la création littéraire.

Leur travail repose sur des opérations de réécritures qu’on retrouve dans toutes les autres :

-                          suppression : par exemple le lipogramme, texte dans lequel une lettre ne figure pas, comme La disparition. Mais aussi on peut supprimer des phrases, des idées, réduire le texte à l’essentiel, ou procède à des regroupements ou des condensations.

-                          Substitution : lexicales, méthode S + 7, ou par des termes d’un champ lexical précis. Il peut aussi s’agir de changer la narrateur. Il y a souvent des conséquences sur la syntaxe

-                          L’expansion : elle peut toucher une phrase, un texte entier. On ajoute des explications, des épisodes supplémentaires, des commentaires. Le développement permet de rendre explicite ou d’interpréter un passage original, l’amplification d’augmenter les phrases.

-                          Le déplacement : ils ne peuvent toucher qu’un mot, ou des phrases, des passages entiers. Il peut s’agir ou non de permutations, qui peuvent obéir à des changements rythmiques. On peut aussi ajouter et coller des passages d’un autre texte, détournés de leur contexte habituel.

Le mythe :

Il est la plus grande source de réécritures et d’intertextualité.

Etymologiquement c’est un récit fabuleux. Il apparaît d’abord dans les textes religieux. Il s’agit en effet d’abord d’un récit sacré qui mettent en scène des êtres divins ou surnaturels qui ont pour fonction d’expliquer des réalités mystérieuses : création du monde, condition mortelle, phénomènes cosmiques.

Ce sont des récits collectifs, qui n’ont pas toujours été fixés d’abord par une tradition écrite et qui voyagent dans la culture et l’inconscient collectif d’une civilisation.

Ils sont souvent ensuite fixés par une tradition écrite, dans les grands textes fondateurs de la littérature et de la culture européenne : Bible, Tragiques Grecs, Iliade et Odyssée.

Il fascine encore et toujours car il est l’expression d’une pensée collective et qu’il a une valeur symbolique. Ses significations peuvent donc se réactualiser d’âge en âge.

En littérature il prend un sens particulier : il s’agit pour un auteur de faire une utilisation nouvelle  d’un personnage, d’un récit, d’une figure symbolique donnés par la tradition.

            Don Juam (dont on a oublié le père … et non Rastignac justement qui restera Balzacien).

Etudier un mythe c’est repérer les éléments du récits à valeur symbolique, et les interpréter. Ces symboles peuvent être d’ordre :

-          métaphysique : origine de l’humanité, mortalité

-          psychologique : Narcisse, dangers de l’amour de soir

-          moral : combat entre le Bien et le Mal à travers Faust

-          esthétique : mystère de la création artistique à travers Orphée

Du fait de sa richesse, et de sa fascination, les mythes sont sujets à de multiples réécritures qui cherchent, désespérement à en épuiser les sens et les implications. On modifie alors le temps, le lieu, le style, le registre, le genre …  Or la fascination du mythe vient justement du fait qu’on ne peut pas épuiser ses significations car il est sans cesse l’objet de réinterprétations en fonction des époques et des contextes et de ses réécritures justement qui loin de le déchiffrer ne cessent de l’enrichir et de le rendre plus fascinant encore.

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        BANQUE DE TEXTES     

        Plaute et Molière, de l'Aulularia à L'Avare

        Autour du chêne et du roseau : Esope, La Fontaine, Pascal, Lautréamont, Anouilh (voir aussi les images)

        "La chevelure" de Baudelaire : des vers à la prose 

        "Les voyelles" de Rimbaud et leur lipogramme. 

(d'autres expériences de l'OuLiPo sur El Desdichado de Nerval : http://graner.net/nicolas/desdi/index.html

 

Plaute, Aulularia, IV, 9

 

scène IX. EUCLION, seul.
Je suis mort ! je suis égorgé ! je suis assassiné ! Où courir ? où ne pas courir ? Arrêtez ! arrêtez ! Qui ? lequel ? je ne sais ; je ne vois plus, je marche dans les ténèbres. Où vais-je ? où suis-je ? Qui suis-je ? je ne sais ; je n'ai plus ma tête. Ah ! je vous prie, je vous conjure, secourez-moi. Montrez-moi celui qui me l'a ravie... vous autres cachés sous vos robes blanchies, et assis comme des honnêtes gens... Parle, toi, je veux t'en croire ; ta figure annonce un homme de bien... Qu'est-ce ? pourquoi riez-vous ? On vous connaît tous. Certainement, il y a ici plus d'un voleur... Eh bien ! dis ; aucun d'eux ne l’a prise ? .... Tu me donnes le coup de la mort. Dis-moi donc, qui est-ce qui l'a ? Tu l'ignores ! Ah ! malheureux, malheureux ! C'est fait de moi ; plus de ressource, je suis dépouillé de tout ! Jour déplorable, jour funeste, qui m'apporte la misère et la faim ! Il n'y a pas de mortel sur la terre qui ait éprouvé un pareil désastre. Et qu'ai-je à faire de la vie, à présent que j'ai perdu un si beau trésor, que je gardais avec tant de soin ? Pour lui je me dérobais le nécessaire, je me refusais toute satisfaction, tout plaisir. Et il fait la joie d'un autre qui me ruine et qui me tue ! Non, je n'y survivrai pas.

Molière, Avare

Scène VII

HARPAGON. Il crie au voleur dès le jardin, et vient sans chapeau: Au voleur! au voleur! à l'assassin! au meurtrier! Justice, juste Ciel! je suis perdu, je suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon argent. Qui peut-ce être? Qu'est-il devenu? Où est-il? Où se cache-t-il? Que ferai-je pour le trouver? Où courir? Où ne pas courir? N'est-il point là? N'est-il point ici? Qui est-ce? Arrête. Rends-moi mon argent, coquin. (Il se prend lui-même le bras.) Ah! c'est moi. Mon esprit est troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas! mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami! on m'a privé de toi; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie; tout est Fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde: sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus; je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris? Euh? que dites-vous? Ce n'est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait épié l'heure; et l'on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire donner la question à toute la maison: à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh! de quoi est-ce qu'on parle là? De celui qui m'a dérobé? Quel bruit fait-on là-haut? Est-ce mon voleur qui y est? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là parmi vous? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu'ils ont part sans doute au vol que l'on m'a fait. Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. Je veux faire pendre tout le monde; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.

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[143] LE ROSEAU ET L'OLIVIER Le roseau et l'olivier disputaient de leur endurance, de leur force, de leur fermeté. L'olivier reprochait au roseau son impuissance et sa facilité à céder à tous les vents. Le roseau garda le silence et ne répondit mot. Or le vent ne tarda pas à souffler avec violence. Le roseau, secoué et courbé par les vents, s'en tira facilement ; mais I'olivier, résistant aux vents, fut cassé par leur violence. Cette fable montre que ceux qui cèdent aux circonstances et à la force ont l'avantage sur ceux qui rivalisent avec de plus puissants.

Traduction itinera electronica                                      

La Fontaine, « Le chêne et le roseau »

Le chêne un jour dit au roseau :
"Vous avez bien sujet d'accuser la nature ;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ; 
            Le moindre vent qui d'aventure
            Fait rider la face de l'eau,
            Vous oblige à baisser la tête.
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
            Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphyr
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
            Dont je couvre le voisinage,
            Vous n'auriez pas tant à souffrir :
            Je vous défendrai de l'orage ;
            Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent
La nature envers vous me semble bien injuste.
- Votre compassion, lui répondit l'arbuste
Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci :
        Les vents me sont moins qu'à vous redoutables ;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
            Contre leurs coups épouvantables
            Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin." Comme il disait ces mots
Du bout de l'horizon accourt avec furie
            Le plus terrible des enfants
Que le nord eût porté jusque là dans ses flancs.
            L'arbre tient bon ; le roseau plie.
            Le vent redouble ses efforts,
            Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

 

L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.
Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.                                                                              Pascal, pensée 347

POÉSIES [ II ]
L'homme est un chêne. La nature n'en compte pas de plus robuste. Il ne faut pas que l'univers s'arme pour le défendre. Une goutte d'eau ne suffit pas à sa préservation. Même quand l'univers le défendrait, il ne serait pas plus déshonoré que ce qui ne le préserve pas. L'homme sait que son règne n'a pas de mort, que l'univers possède un commencement. L'univers ne sait rien: c'est, tout au plus, un roseau pensant.                                           Lautréamont, Poésies II

Le chêne et le roseau, 1973, Fable de Jean de la Fontaine réécrite par Jean Anouilh

Le chêne un jour dit au roseau :
« N'êtes-vous pas lassé d'écouter cette fable ?
La morale en est détestable ;
Les hommes bien légers de l'apprendre aux marmots.
Plier, plier toujours, n'est-ce pas déjà trop,
Le pli de l'humaine nature ? »
« Voire, dit le roseau, il ne fait pas trop beau ;
Le vent qui secoue vos ramures
(Si je puis en juger à niveau de roseau)
Pourrait vous prouver, d'aventure,
Que nous autres, petites gens,
Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents,
Dont la petite vie est le souci constant,
Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde
Que certains orgueilleux qui s'imaginent grands. »

Le vent se lève sur ses mots, l'orage gronde.
Et le souffle profond qui dévaste les bois,
Tout comme la première fois,
Jette le chêne fier qui le narguait par terre.
« Hé bien, dit le roseau, le cyclone passé -
Il se tenait courbé par un reste de vent -
Qu'en dites-vous donc mon compère ?
(Il ne se fût jamais permis ce mot avant)
Ce que j'avais prédit n'est-il pas arrivé ?"
On sentait dans sa voix sa haine
Satisfaite. Son morne regard allumé.
Le géant, qui souffrait, blessé,
De mille morts, de mille peines,
Eut un sourire triste et beau ;
Et, avant de mourir, regardant le roseau,
Lui dit : "Je suis encore un chêne."

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Baudelaire, « La chevelure », Les Fleurs du mal

O toison, moutonnant jusque sur l'encolure!
O boucles! O 
parfum chargé de nonchaloir!
Extase! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir!

La langoureuse  Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans les profondeurs, forêt aromatique!
Comme d'autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour! nage sur ton parfum.

J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l'ardeur des climats;
Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève!
Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts:

Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur;
Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan où l'autre est enfermé;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse!
Infinis bercements du loisir embaumé!

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps! toujours! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde!
N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir?

 

Baudelaire, « Un hémisphère dans une chevelure », Le Spleen de Paris

Laisse-moi respirer longtemps, longtemps,  l'odeur de tes cheveux , y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.

Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! tout ce que je sens! tout ce que j'entends dans tes cheveux! Mon âme  voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique.

Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les feuilles et par la peau humaine.

Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.

Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les  langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.

Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.

Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques, il me semble que je mange des souvenirs.


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Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclantantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrement divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

Arthur Rimbaud (Poésies) (septembre 1871)


VOCALISATIONS

A noir (Un blanc), I roux, U safran, O azur :
Nous saurons au jour dit ta vocalisation :
A, noir poilu d'un scintillant morpion
Qui bombinait autour d'un nidoral impur,

Caps obscurs ; qui, cristal du brouillard ou du Khan,
Harpons du fjord hautain, Rois Blancs, frissons d'anis ?
I, carmins, sang vomi, riant ainsi qu'un lis
Dans un courroux ou dans un alcool mortifiant ;

U, scintillations, ronds divins du flot marin,
Paix du pâtis tissu d'animaux, paix du fin
Sillon qu'un fol savoir aux grand fronts imprima ;

O, finitif clairon aux accords d'aiguisoir,
Soupirs ahurissant Nadir ou Nirvâna :
O l'omicron, rayon violin dans son Voir !

Arthur Rimbaud /Georges Perec (La disparition)

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BANQUE D'IMAGES

Cliquez sur l'image pour agrandir. 

La postérité d'Homère : voir Grec, Guerre de Troie

Réécritures picturales de la fable  :  "Le chêne et le roseau" 

aractingy cheneroseau.jpg (15582 octets)gustavedoré cheneroseau.jpg (35073 octets)quellier cheneroseau.jpg (21731 octets)richet cheneroseau.jpg (30863 octets)

Réécritures du "Penseur 

penseurbronze.jpg (29513 octets)penseurgrand.jpg (94987 octets)penseur photo.jpg (119823 octets)penseur santer.jpg (24927 octets)Gargouille 02 le penseur.jpg (827998 octets)penseur num.jpg (124243 octets)

penseur solitaire.jpg (9412 octets)le_penseur.jpg (15060 octets)penseur.jpg (25206 octets)

Réécritures en peinture : 

Vélasquez et Bacon, Innocent X velasquez innocentX.jpg (129765 octets)bacon innocentX2.jpg (25169 octets)bacon innocent_X.jpg (174784 octets)

Picasso et Courbet, Picasso et Ingres, Picasso et Matisse ...

courbet dledubordde seine.jpg (46379 octets)ingres odalisque.jpg (79043 octets)picasso odalisque.jpg (251846 octets)picassomatisse.jpg (96506 octets)matisse odalisqueautambourine.jpg (62926 octets)

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